A cause de la tension des agrafes, le petit livre couleur prune, qui est en fait un cahier, s’ouvre sans qu’on y touche. On dira que c’est voulu, qu’on arrive d’emblée au cœur du propos, entre deux mains, deux pages ouvertes qui tendent des mots aimantés au lecteur.
D’abord il me faut dire que j’ai toujours eu une tendresse absolue, immédiate, pour les livres de Jeanne Benameur, au –delà des critères de mes goûts littéraires ordinaires. Chaque nouveau texte rencontré rejoint aussitôt mes livres-sentinelles, c’est presque instinctif, animal.
La chair du livre m’est directement accessible, les yeux la caressent autant que l’esprit. L’auteur est comme une sœur virtuelle dont je ne connaîtrais que les mots écrits et non le visage, un visage qui pourrait se superposer à celui d’une femme peinte par Botticelli ou celui d'un être qu'il aurait aimé au point de renoncer à la toucher, voulant seulement la regarder avec ferveur et délicatesse. Peu nombreux sont les livres vitaux pour la conscience d’être, la seule qui soit utile à la vie et au partage inéquitable des douleurs. Avec la fin de la plainte, commence la faim d’absolue vérité, qui n’est pas un bavardage, et qui transite par les silences les plus purs. Les êtres écorchés qui retrouvent leur peau, ont des regards qui pensent. Ils ne sont pas fragiles, ils sont des passeurs de solitude et d’aptitude à la beauté.
Voici un extrait de ce joyau discret édité chez Thierry Manier, et que j’emporte dans mon sac comme un porte-silence exemplaire et protecteur.
Je voudrais retourner la main de ces
enfants, leur dire que là, dans leurs
paumes ouvertes, toutes ces lignes,
c’est leur vie.
La vie.
Je voudrais leur dire la bonne
aventure. Comme on retournerait le
mauvais sort.
Secouer la paume offerte.
Embrasser.
Souffler.
Mon baiser n’effacera rien. Je sais.
Mais juste pour que l’air passe entre
la main et ce qu’elle a formé, répété.
Pour que le souffle ait une chance.
Refermer un à un les doigts là-
dessus.
Je serre les poings.
Jeanne Benameur, Comme on respire ,
p. 14, Editions Thierry Magnier, 2011